Le tombeau de Virgile

J’ai vu la tombe de Virgile, dans un parc exigu où une allée unique serpente à flanc de colline. L’entrée de ce parc se cache derrière l’église de Piedigrotta encombrée d’échafaudages, dans une rue qui passe sous la voie ferrée, et puis ne semble mener qu’à la gueule béante d’un tunnel puant qui avale des voitures et en recrache autant. J’ai beau être plusieurs fois ressortie de l’autre côté de cette galerie, dans le quartier de Fuorigrotta, où la route longe l’ex stade San Paolo, rebaptisé Maradona, pour continuer ensuite vers les Champs Phlégréens, cette arche noire aux exhalaisons méphitiques et catalytiques m’évoque un gouffre sans fond, la nouvelle porte des Enfers.

Dans le parc, je rencontre d’abord Giacomo Leopardi. Malgré la massivité de son tombeau de travertin blanc surmonté d’une frise dorique et d’un vague chapiteau ionique, grossière imitation d’un autel antique, malgré l’inscription sur la paroi rocheuse, où le nom d’un roi, répété deux fois, en caractères plus gros que celui du poète, parle plus de pouvoir que de littérature, le lieu est saisissant. L’arrondi de la voûte creusée dans la colline semble alléger de son poids le tuf qui nous surplombe. La végétation se mêle aux édicules qui ponctuent le sentier et je revois les images du film Il giovane favoloso de Mario Martone, dont le titre, dit-il, vient d’une phrase d’Anna Maria Ortese :  Così ho pensato di andare verso la grotta, in fondo alla quale, in un paese di luce, dorme, da cento anni, il giovane favoloso.

« Alors j’ai eu l’idée d’aller vers la grotte au fond de laquelle, dans un pays de lumière, dort, depuis cent ans, le garçon fabuleux. »

Plus loin, il me faut l’aide du panneau explicatif pour repérer dans l’empilement de pierres moussues la forme d’un mausolée antique où Virgile est dit reposer. Derrière, la section triangulaire d’une galerie s’enfonce sous le Pausilippe. Elle me rappelle l’antre de la Sibylle, à Cumes, et le chant VI de l’Enéide, sa terrible beauté.

Excisum Euboicae latus ingens rupis in antrum
quo lati ducunt aditus centum, ostia centum
unde ruont totidem voces, responsa Sibyllae.
Ventum erat ad limen, cum virgo «Poscere fata
tempus » ait; « deus ecce deus ! » (…)

« L’énorme flanc de la roche eubéenne est taillé en forme d’antre où cent larges avenues conduisent à cent portes : il en sort autant de voix, réponses de la Sibylle. Ils étaient arrivés sur le seuil lorsque la vierge dit : « C’est le moment d’interroger les destins : le dieu, voici le dieu ! »

L’accès est défendu par un grillage de chantier orange et le tunnel antique est étayé par des briques modernes. Il est bouché depuis un siècle par un effondrement.

Le sort de Naples tout entière dépend de Virgile, grand magicien.
Et Hermann Broch m’attend sur mes étagères.

Photos Anne-Marie Passaret

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