18. Épiméthée et Prométhée

Toute l’eau de l’incendie, 18.

Texte complet

Il était une fois deux frères. Prométhée, qui pensait avant d’agir. Epiméthée, qui réfléchissait après. Le feu est dangereux. La précipitation aussi.

Dans un documentaire sur les gilets jaunes, on voit le président de la République à Château Thierry, en décembre 2018. Il promet dès l’année suivante des heures sup’ sans impôts ni charges, ainsi qu’une prime de fin d’année laissée au libre arbitre des employeurs. Une femme commente : « Pour moi tout est décousu, c’est vraiment pas construit. C’est : fallait répondre dans l’urgence, voici une réponse, je vous l’apporte, on réfléchira plus tard à comment le mettre en place ».

J’ai eu la même sensation le soir de l’incendie.

L’âge d’or des poètes grecs est celui où les hommes, tous mâles, vivent sur la terre, mêlés aux dieux. Nul ne se préoccupe de savoir comme ils ont atterri là. Avaient-ils un nombril ? Les érudits du moyen âge se posaient la question pour Eve et pour Adam ; les Grecs ne semblent pas s’y être intéressés. A l’abri de tout souci, les hommes ne souffrent ni de douleur ni de maladies, la terre leur fournit tout, sans qu’ils aient à fournir le moindre travail. Zeus, devenu roi du ciel, organise le monde. Par sa victoire sur les Géants et sur les Titans, il fait triompher l’ordre sur le désordre, structuré la société des dieux. Il reste à définir la part qui revient aux hommes et celle qui revient aux dieux. Alors le monde sera monde, et le sacrifice sera le signe de ce partage et de la condition humaine.

Le duel a lieu à Mécôné. Zeus, roi et champion des dieux, va choisir la part divine et Prométhée la part des hommes, bien qu’il soit un Titan, et que les Titans soient des dieux : face à Zeus, les hommes sont déjà soumis, ils ont besoin d’un médiateur divin. Les Titans sont fils de la Terre, du côté du désordre contre les Olympiens. Prométhée cependant a lutté avec Zeus contre les autres Titans, précipités dans le Tartare ; pour les hommes, il s’oppose au roi des dieux. Si Prométhée utilise la métis dans cette lutte, c’est-à-dire la ruse, l’intelligence rusée, Zeus ne fait qu’un avec la déesse Métis, qu’il a avalée pour que l’enfant qu’elle porte de lui ne détrône pas son père une fois né, et rusé. Zeus a incorporé Métis, rien ne peut lui échapper. Prométhée ne possède qu’une métis incomplète. On sait dès le début que Zeus va l’emporter.

Un bœuf est immolé. Le partage du bœuf entre hommes et dieux est la première des ruses de Prométhée. Il fait deux parts de sacrifice. La première est fait des os nus recouverts de graisse. C’est un piège. C’est une part belle mais sans consistance. La seconde contient la viande et les entrailles cachées par la peau, elle-même recouverte du ventre. Ainsi ce qu’on peut manger prend une apparence dégoûtante. Zeus feint de se laisser tromper et choisit la première part. C’est ainsi que les dieux se nourriront de la fumée des os et des graisses brûlées. Mais en colère devant la tromperie, pour se venger, le dieu garde le feu.

Prométhée alors conçoit une seconde ruse pour le récupérer. Il utilise une ombellifère, la férule, qui semble pleine de sève, mais dont la tige creuse cache le feu dérobé. Zeus une nouvelle fois se laisse tromper, ou plutôt laisse croire qu’il a été trompé, par l’apparence humide de la plante.

Ayant remporté sur Zeus l’avantage à deux reprises, Prométhée interdit à son frère Épiméthée d’accepter le moindre présent du dieu. Mais Épiméthée ne peut résister lorsque Zeus lui offre Pandore : la femme créée sur son ordre par Héphaïstos et Athéna a l’apparence d’une déesse, chaque divinité l’a ornée d’une qualité, la grâce, l’habileté manuelle, la persuasion… Mais Hermès met dans son cœur mensonge et fourberie. Ruse unique de Zeus en réponse aux deux ruses de Prométhée, la femme est un présent fait aux hommes, pour leur malheur, car, dévorée de curiosité, elle ouvre une jarre qui se trouve chez elle, et d’où s’échappent tous les maux qui fondent sur l’humanité désormais sexuée. Une autre tradition fait de cette jarre un cadeau de mariage apporté pour les dieux à Pandore et Épiméthée : elle contient tous les biens. Dans sa hâte d’en découvrir le contenu, elle l’ouvre et tous les biens s’envolent, retournant au séjour des dieux, au lieu de demeurer parmi les humains. C’est ainsi que les hommes sont affligés de tous les maux. Seule l’espérance, maigre consolation, leur demeure.

Gargamel ainsi créa la Schtroumpfette pour semer la zizanie dans le village.

Il ne serait pas inutile de discuter encore de la misogynie des Grecs en général et d’Hésiode en particulier. Une autre fois.

Pour revenir à l’incendie, j’ai du mal à percevoir quelle sont les parts d’irréflexion et de cynisme politique dans ces déclarations, dans ces décisions hâtives. Peut-être que huit cents ans d’histoire qui partent dans les flammes en quelques minutes auraient dû être accueillis par le silence. Par des années de silence. Alors seulement, il se serait passé quelque chose.

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