24. Loin

Toute l’eau de l’incendie, 24.

Texte complet

J’étais toujours très affectée par le sinistre qui a détruit les parties hautes de Notre-Dame, cependant vers la mi-mai, l’agacement tendit à l’emporter sur le chagrin. Entraînés depuis un mois par le mouvement qui agitait l’air autour de nous, nous avions du mal à considérer la situation sereinement. Les actions, les décisions, nous dépassaient, nous échappaient. Y avait-il un moyen de s’en ressaisir ? De contrer les récupérations de toutes sortes ?

Ce que ça faisait d’être loin ? Il me fallut un mois pour en parler aux personnes que je recevais au Musée d’histoire de Marseille. Je n’osais pas. Cela aurait sonné à leurs oreilles comme une langue étrangère, une émotion à laquelle ils n’auraient pas eu accès. Il y a peu d’églises gothiques en Provence, et les seuls arcs-boutants de Marseille sont ceux de Saint-Ferréol, l’ancienne église des Augustins, à deux pas du musée. Devant la maquette de cet édifice au Moyen Âge, je parlai de la technique architecturale de la croisée d’ogive, et de l’esthétique dite « gothique » parce que jugée « barbare » par les esthètes de la Renaissance écoeurés du fouillis de statues aux voussures, des gargouilles et des pinacles, d’une accumulation, d’une surcharge qui n’a rien à envier au rococo, même si elle produit un effet visuel fort différent. Je restai plus calme que je l’avais imaginée, la première fois que j’évoquai en public Notre-Dame et son incendie. Aujourd’hui la cathédrale de Paris a été récurée, blanchie plus encore qu’au XVIIIe siècle, quand les chanoines retirèrent les restes de la polychromie médiévale. Les commentaires d’usage sont extatiques. Que cherche-t-on à gommer avec tant de blancheur ? Quelles ombres veut-on supprimer sous la lumière frontale ?

Cathédrale d’Amiens – Hypothèse de restitution de la polychromie du portail central

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L’œuvre entière sera disponible progressivement sur la page « Toute l’eau de l’incendie« . Comme l’ensemble de ce site, elle est déposée et protégée par le droit d’auteur.

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