Pascaline Henriet

Textes écrits lors de l’atelier d’écriture du 13 octobre 2024, en déambulation à travers Marseille, à l’invitation des Mots Voyageurs

Je me souviens
mal 
Ma mémoire s’est trouée 
Cognée aux quatre coins de l’hexagone 
Fendue sur les arrêtes du globe. 
Elle s’est perdue dans le dédale des mêmes églises Saint-Paul, des mêmes chapelles Sainte-Marie, des mêmes mosquées au minaret de terre.
Je me souviens mal de mes villes 
Celles où j’ai vécu contrainte ou ravie, 
J’ai trop cherché leur ombre pour me protéger du soleil ou leurs abris pour stopper la pluie,
J’ai esquivé trop de flaques d’huile et le temps file sur la dentelle de ma mémoire.
Marseille ma belle, mon territoire, mon port, mon attache, ma cité, mon décor, tu auras ta part 
Promis je me souviendrai mieux
J’ai ouvert mes yeux.


Kevin a laissé sa trace sobrement 
Du bout de sa bombe noire 
Avec une sorte d’élégance 
Pied de nez aux rideaux baissés
Aux graffitis colorés 
Ornella a ouvert sa boulangerie 
Belle enseigne dorée
Quelle fierté 
Pied de nez aux Paul clonés 
Aux Raimus enfarinés 
Un homme derrière son café 
Son doigt blessé encapuchonné 
Une femme cachée sous un bonnet violet
Se croisent sans se voir
Complices insoupçonnés 
Face à eux
Une affiche délavée 
Collée de travers 
Leur donne raison 
Dans leur besoin de se protéger 
« L’insécurité augmente en France »


7h00
Je me tiens là à moitié éveillée 
Sur le bord de la route qui n’en n’est pas une
A peine une piste, une traînée de poudre rouge 
Les yeux plissés par le soleil 
Un goût de poussière dans la bouche 
Des gouttes de sueur orangées s’écrasent et s’incrustent sur mon teeshirt
Je n’aurais pas dû me maquiller 
A trop vouloir faire bonne impression 

7h05
Une nuée d’écoliers dans leur uniforme bleu me dépassent et sourient 
Un peu plus loin je les entends crier « nassara »
Je suppose que c’est moi 
Un odeur de beignet tout à coup 
Mon ventre gargouille 
J’aurais du prendre un petit déjeuner
A trop vouloir éviter la tourista 

7h10
Je suis comme clouée sur place par le soleil vorace 
J’entame ma traversée 
Je tente d’avancer d’un pas 
Un vélo, une moto, encore un vélo, encore une moto 
Tout me drôle et klaxonne
Je n’aurais pas dû décider d’y aller à pied
A trop vouloir m’intégrer à cette nouvelle ville, à cette nouvelle vie

7h12
Je regarde impuissante le flux incessant des 2 roues, des pickups, des charrettes qui me barrent le chemin.
500 mètres
Cible inatteignable 
Traversée impossible 
Je fais demi-tour
Devant ma maison ma voiture m’attend sagement