Lointains retours de Naples…

…d’un personnage en devenir

La sonnerie du métro annonça la fermeture des portes. Place d’Italie, je cédais sans retenue à la tentation d’un démarrage soudain en montant l’escalier, pour le plaisir. Dehors, sans un regard pour les sapins et leurs guirlandes, je m’enfournais dans un café que j’aimais bien, à cause des sérigraphies sur les vitres qui imitaient les années folles, à cause des banquettes en skaï, oranges mais presque marrons, à cause des globes lumineux opalescents, le tout bien plus kitsch que chic, à cause du bruit du percolateur et de la voix des serveurs, la musique des cafés parisiens, même si je savais que l’expresso n’y valait rien, et je me gardai de commander autre chose qu’un chocolat et un croissant.

Les mains autour de la tasse chaude, dans les arômes du cacao, je rêvai à la musique d’autres petits matins, lointains, napolitains. À la fin des vacances d’été, on était à la gare très tôt. La lumière tranchante était exacerbée par l’odeur âcre de caoutchouc et de fer, la chaleur soufflait déjà sa présence. Le train de nuit arrivait de Palerme. Les passagers étaient réveillés au son des vendeurs ambulants sur le quai de la gare de Naples, qui lançaient tout autour de nous d’une voix d’opéra : « Caffé, brioche, caffé ! » En napolitain, on omet la voyelle finale, et le mot brioscia a le même son, exactement, qu’en français. Mais pas la même odeur. À la gomme écrasée des roues se mêle de la fleur d’oranger. « Caffé, brioche, caffé » : paam paam (deux longues, accent principal sur la seconde), pam pam, paam paam (deux brèves, accent secondaire sur la seconde, deux longues, accent final). Véronique saurait me dire quel antique rythme grec ce refrain reprenait. Nous nous hâtions derrière maman stressée, papa dormait debout, nonna nous poussait pour nous mettre vite vite dans le train de Rome. Sous cette précipitation, elle masquait sa contrariété de nous voir partir. À Rome, nous passions la journée à errer de l’ombre d’une église à la fraîcheur sucrée d’une glace, chaude journée d’été, en attendant le « Palatino », le train de nuit Rome-Paris.

Je ne retrouverais jamais ces départs au petit jour. Je préférais l’avion, et désormais, je choisissais moi-même mes horaires. Devant mon croissant de solstice d’hiver, entouré de pères Noël, je pris conscience avec une acuité nouvelle que je n’étais plus rattaché à l’enfance, que j’étais passé d’un autre côté de ma vie, celui où l’on est un homme qui agit de son propre chef. C’était valorisant et un peu amer. Quand je sortis du café, il traînait encore un peu de nuit sur Paris, le ciel était pleurnichard. Je rêvais tant de marcher avec Gina dans l’azur de Capri, parmi les citronniers et les myrtes. Je vis en pensée sa silhouette avant l’aube, comme elle s’était enfoncée seule dans la nuit, ses boucles brunes balançant au rythme de son pas hâtif, de fines perles de pluie glissant sur ses épaules.