Toute l’eau de l’incendie, 32.
Ce texte est le dernier de la série « Toute l’eau de l’incendie » – Lire le texte en entier
Le feu est dangereux. La précipitation aussi.
9 juin 2024. L’Assemblée nationale est dissoute. Le « séisme politique » commenté par les journalistes provoque en moi une résonnance particulière, au moment où j’achève de rassembler mes notes sur l’incendie de Notre-Dame.
C’est une vibration, un écho, le son lointain d’une cloche qui sonne peut-être un glas.
Je viens de mettre des mots sur le malaise éprouvé depuis le 15 avril 2019, sur la hâte que le pouvoir affiche à des fins personnelles, sur la précipitation à prendre des décisions sans souci de l’intérêt collectif.
Il ne s’agissait que d’un bâtiment, aussi cher me soit-il. Ce soir, où le pouvoir joue encore avec le feu, il s’agit de la France, et plus grave encore, de la démocratie.
Les chantiers auxquels il est urgent de s’atteler mettront des décennies, des siècles à être réalisés, ou demanderont des soins constants, une attention de chaque instant, comme de reconstruire la charpente de Notre-Dame et laisser se bâtir une nouvelle forêt, laisser à la forêt le temps de se bâtir, c’est le chantier de notre temps, digne de celui des vieilles cathédrales. Entretenir les monuments survivant aux guerres du passé et du présent, et entretenir les valeurs d’humanisme et de paix nées sur les ruines et les barbaries du siècle passé. Déconstruire les rapports de domination entre les hommes et le monde, entre les hommes et les hommes.
Nous voulons tout, tout de suite, baignés dans la promesse de l’assouvissement de plaisirs immédiats, d’un confort bon marché, d’une vie en affiches de publicité, nous voulions une belle cathédrale toute neuve, tout de suite, sans nous accorder le temps de la réflexion, sans nous autoriser le débat. La cathédrale vieille-nouvelle culmine avec sa flèche à quelque cent mètres au-dessus du niveau de la Seine. Sous son chœur furent découverts au XVIIIe siècle, en remploi, les blocs d’une colonne votive dédiée à Jupiter sous le règne de Tibère par les marchands aquatiques de Lutèce, les Nautae parisiaci. Ce pilier, qui n’est plus dans la crypte archéologique du parvis, mais au Musée de Cluny, indique l’existence dès l’Antiquité d’une corporation des Nautes, devenue puissante au Moyen Âge et à l’origine de la municipalité parisienne. Je me demande si Paris va remplacer dans ses armes le bateau de commerce par un bateau mouche. Fluctuat nec mergitur. Ni le bateau, ni Paris ne sombrent, ne veulent sombrer.
Mais si mergatur, si Paris était englouti…
Et quand mergetur, quand la ville sera submergée…
La fonte des glaces est un bouleversement moins spectaculaire et plus phénoménal, plus définitif qu’une cathédrale qui brûle. Son impact est incomparable . Cela nous émeut-il autant ?
Et si la Seine était bientôt gonflée de l’eau fondue des glaciers ?
Quand elle sera gonflée…
Si c’est grave ou pas, me demandais-je au début de ce texte, tâchant de mettre des mots sur cette gravité.
Pas moi.
Pas nous.
Pas devant nous.
Pas de notre vivant.
Et de notre vivant, assister à la disparition de la vie sur terre ?
À la fin la cathédrale est recouverte par les eaux de la Seine qui montent.
Je veux retrouver quelque chose sur quoi m’appuyer. Ce sera cette force en mouvement qu’est un fleuve.
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À partir du 1er décembre 2024, un chapitre de ce texte a été ajouté quotidiennement, sauf le mercredi. Les abonnés ont reçu les publications par e-mail. Ce texte est le dernier de la série.
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