D’un téléphone cassé, de réseaux, de résolutions

Les tours de Notre-Dame dépassent des toits du boulevard Saint-Germain, ce 26 décembre 2024. Mue par l’impulsion de les prendre en photos, je sors mon téléphone. Il tombe. Je voulais prendre cette photo pour marque ma présence, là, la marquer pour moi, sans aucune intention de publier nulle part cette photo. J’avais déjà choisi celles qui illustreraient les derniers chapitres de Toute l’eau de l’incendie. Au cœur de ce projet, je revois Notre-Dame et le pavé est dur. Le verre se fissure et s’étoile, les cristaux liquides se répandent en virgule sur le haut de l’écran. L’appareil reste en état de fonctionner. Je le touche le moins possible. Je réponds au téléphone et j’envoie des messages par mail depuis mon ordinateur. Je n’ouvre plus Whatsapp. Je n’ouvre plus du tout Whatsapp. Je baigne dans la sensation d’un immense repos.

Je recule autant que possible le moment de faire réparer mon écran. J’attends d’être rentrée à Marseille ; puis j’attends que soit passé le Nouvel An ; la réparation n’est pas possible ; j’attends de décider ce que je vais acheter en remplacement. Je marche dans la ville sans pouvoir faire autre chose que marcher dans la ville ; savoir que je ne serai pas dérangée est un plaisir serein ; mes trajets quotidiens sont des respirations entre les moments pleins de la journée, des zones de temps tampon où s’atténue ce que je laisse pour laisser place à ce qui vient. Mon entourage apprécie moins de ne pouvoir à tout instant convoquer mon attention, mon attention qui, comme toujours, est captée par la ville et je veux prendre une photo. Le geste de ma main reste en suspens. C’est la seule chose qui me manque.

Le vieux téléphone sorti d’un tiroir que je réactive n’a pas toutes les fonctionnalités auxquelles je me suis habituée, comme payer un achat d’un clic. Je me décide à en prendre un nouveau, ce qui n’est pas un exact synonyme de « neuf ». Je prends conscience de la nécessité de trouver un mode personnel d’utilisation des réseaux qui me fasse profiter des échanges avec la communauté qui s’est construite dans mon environnement virtuel, sans plus avoir cette impression d’être toujours à bout de souffle.

Entre-temps est passé le 7 janvier. J’ai publié le dernier chapitre de mon texte sur Notre-Dame, je vais pouvoir y réfléchir. Au même moment, les déclarations de Zuckerberg défraient la chronique. Je suis sommée d’y réfléchir. Mon premier site internet date de 1996. Par contre, pendant longtemps, je ne pensais pas que Facebook pourrait m’intéresser. Je m’y suis inscrite très tard, en 2017, sur les conseils du poète Pierre Guéry, dans le but de connaître d’autres personnes qui écrivaient, d’entrer dans une sphère de littérature. Bien que je n’apprécie toujours pas le terme d’« ami(e) » pour qualifier toute personne dont je souhaite lire la prose – ou la poésie – certaines rencontres se sont muées en vraies amitiés. Surtout, ce réseau m’a permis d’entrer dans un cercle où l’écriture, la lecture, la littérature, sont les préoccupations principales, et les échanges qui s’y produisent me sont précieux entre tous, Facebook n’étant qu’un des outils qui les permettent, mais un outil qui me semble encore nécessaire. J’ai du mal à m’en éloigner.

J’ai toujours veillé à ne publier que des choses que je considère pouvoir être exprimées en public. Je suis consciente que je donne sur moi des informations, ne serait-ce que par les affinités que j’affiche avec tel ou tel profil. Je ne suis jamais fait d’illusion sur l’honnêteté des visées de ce réseau social, ni sur son patron, auquel je ne me suis jamais non plus vraiment intéressée. Comme directeur d’une grande entreprise, j’imagine que son principal moteur est l’argent, amasser de l’argent, acquérir le pouvoir par l’argent. C’est un symbole du capitalisme. Ses récentes déclarations, sa récente décision de ne plus rien faire pour contrôler ce qui circule sur les réseaux qu’il possède, posent problème. Je ne suis pas sûre cependant que cela change grand-chose à ce que je vais lire sur Facebook, où les idées circulent dans un entre-soi certain, et que je n’ai jamais considéré comme source d’information fiable. Beaucoup des personnes que j’y lis s’interrogent sur le sujet. Certaines ont choisi de partir, et je salue ce courage, tout en me demandant avec d’autres si ce n’est pas laisser la place aux seules idées qu’on ne partage pas, à l’invective, à des discours de haine ou de colère, à la disparition d’une pensée logique. J’ai décidé de garder mon compte pour l’instant. Je vais aller faire la curieuse du côté d’autres réseaux, pour voir si j’y retrouve ce cercle qu’il m’importe de conserver. S’il s’agit de quitter Facebook pour protester contre les prises de position de son fondateur, il faut alors quitter aussi tout ce qui lui est profitable, Instagram « le plus populaire des produits Meta » comme m’apprend une rapide recherche internet, et surtout Whatsapp, « principal moteur de la croissance » du groupe. Je dois être honnête avec moi-même comme avec vous : j’avais décidé de moins utiliser Whatsapp dès avant le 7 janvier, et cette affaire est pour moi une aubaine, non pas le prétexte, puisque je n’en cherchais pas, mais l’occasion de franchir le pas. Quant à Instagram, j’ai l’impression de m’y perdre. Je ne sais pas ce que j’y fais. Je m’y suis inscrite par pression sociale, parce que c’est plus à la mode que Facebook vieillissant. J’y vais peu, je m’oblige à y poster des choses sans autre motif que de m’y montrer. C’est peut-être l’occasion de fermer un compte qui, peut-être, pollue mes semaines. Je vais y réfléchir aussi.

Une réponse à “D’un téléphone cassé, de réseaux, de résolutions”

  1. Avatar de brigitte celerier

    exactement Laure
    et en outre ne nous amusons pas à penser que notre décision a une minuscule ombre d’importanve

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