Toute l’eau de l’incendie, 27.
Le public que je reçois au musée d’Histoire de Marseille s’étonne souvent, devant l’épave de la Bourse, que les hommes de l’Antiquité romaine aient possédé la technique pour construire de tels bateaux. Elle n’a pourtant rien de miraculeux. Je ne dis pas que construire un cargo qui tienne la charge et l’eau soit chose facile, le savoir-faire des artisans et des ingénieurs d’hier et d’aujourd’hui, m’emplit souvent d’admiration. L’homme a toujours été ingénieux. Regarder des objets du passé, lire des rapports de fouilles archéologiques ou des traités techniques renseignent sur l’expertise des Anciens, leur maîtrise des matériaux et des outils, les progrès qu’ils accomplissent. Leurs inventions, n’ont rien d’extra-ordinaire. Pour bâtir, pour fabriquer, il faut du métier, de l’intelligence, de l’apprentissage, de la réflexion, de la transmission, de l’entraînement, et du temps.
De même, rien de surnaturel au transport de lourdes charges, poutres d’échafaudages ou blocs immenses de pierre. Ni la magie ni les extraterrestres n’ont besoin d’être convoqués sur le chantier des pyramides, sur celui des cathédrales, pour les pierres levées de Carnac. Il suffisait d’être nombreux et, une fois encore, d’avoir du temps. La mécanisation à l’œuvre dans tous les domaines à partir des années 1950 a fait perdre de nombreux savoir-faire, notamment en matière de levage ou de travail des matières dures.
Les pages de Pierre Bergounioux décrivent le basculement, à partir des années 50-60, d’un mode de vie ancestral en Corrèze, voire préhistorique, vers notre modernité.
L’architecte Rudy Ricciotti martèle l’importance des savoir-faire, de la transmission, de la technique, de l’artisanat.
Un paradoxe me frappe avec le recul : tout au long de la reconstruction de Notre-Dame, la communication a justement tourné autour de la vigueur nouvelle que le chantier a donné à nombre de métiers d’art, a insisté sur le maintien, le renouveau, la transmission des savoir-faire. Mais où est l’esprit qui préside à cela quand la décision est prise, dictée d’en haut avant d’être adoptée par l’assemblée, moins d’un mois après que le brasier s’est éteint ?
Le vendredi 10 mai 2019 est votée la « loi Notre-Dame », une loi singulière, qui porte un nom propre, pas celui de son promoteur, non, mais celui de son objet. C’est une loi pour s’affranchir des lois, et plus exactement du code des marchés publics, pour passer outre l’obligation légale de faire un appel d’offre, de recevoir au moins trois devis, code dont le dessein est ainsi d’éviter, dans la fonction publique, que les marchés soient attribués par copinage.
Pendant ce temps les constructeurs moins-disant bétonnent les berges à Nanterre. Même la Seine n’est pas épargnée. Cela me bouleverse aussi. Moins que l’incendie, peut-être, mais c’est plus grave, peut-être. Nanterre est le berceau de Lutèce, la capitale des Parisii.
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