Quitter Marseille, de Catherine Serre

Quitter Marseille à la bascule des âges, douze ans ou à peine plus, au début de décembre un dimanche, un dernier dimanche à quelques jours de partir, une journée dans le massif à courir une dernière fois, la lumière, la joie des enfants qui préparent des communions, les bonnes paroles, les rires Quitter Marseille, le soleil d’hiver dans les hauteurs, on court, on joue bras nus, les manteaux posés, les pulls autour du ventre, à ne penser à rien, à respirer, le dimanche, les enfants — on dit les jeunes — à courir, à jouer, écouter, réfléchir, dans le massif sacré de la Sainte Baume, à piqueniquer devant l’hôtellerie, à marcher jusqu’aux grottes en parlant de miracles, tout un dimanche, le dernier Quitter Marseille, la mer au loin, le massif derrière nous, partir sans attendre les vacances de Noël la fin du trimestre Quitter Marseille, les deux déménagements, les trois écoles primaires et le collège, la sixième dans les préfabriqués à l’écart d’une cour pavée, la cinquième sur l’esplanade en face du Lycée Marcel Pagnol, les préfas et les cailloux pointus, les chaussures empoussiérées, le bruit des engins de construction, on rejoint la cantine en traversant le chantier, on reluque les grands, on chante à la chorale, on parle à l’aumônerie, on s’inscrit aux sorties, on attend l’heure des cours, on aime l’anglais, on découvre la biologie, on parle des règles et un jour les a, on prend le car scolaire, le passage sous la voie ferrée, on monte la colline, on se dit à demain Quitter Marseille, la résidence et la piscine, la classe de cinquième, les filles, la chorale, l’aumônerie, le massif de calcaire, la mer au loin, les miracles et les grottes Quitter Marseille, les trajets en 4-chevaux, le père de C. au volant, un pain au chocolat pour la récré Quitter Marseille, le quartier neuf, le bord de ville encore en friche, les vieux jardins et les maisons frappées d’alignements, les murs sautés derrière l’école neuve pour rejoindre les ruines, les confidences en haut de la cage-à-écureuil, les figues sauvages à se brûler la bouche, les chemins comme rendu à l’abandon, les initiales taillées dans l’écorce des arbres, les mains avides à cueillir ce qui se cueille, l’amie d’école et nos secrets, le dimanche dans les collines le dimanche au soleil de décembre, sur le sentier des grottes et des miracles, le dimanche de décembre qui ressemble à l’été, à quelques jours de partir, à la bascule des âges, à douze ans ou à peine plus Quitter Marseille

Un texte de Catherine Serre

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