Campagne Pastré, de Caroline Diaz

Tu me posais des questions sur Marseille auxquelles je ne savais pas répondre. Je tentais de me justifier, je n’y avais vécu que trois ans, à un âge où je n’étais pas curieuse de la ville, où l’on se contente du parc aménagé au pied de l’immeuble, de la traverse Paul vers le collège, des plages artificielles du Prado. Première année au lycée, premières explorations, Belsunce, Noailles, le cours Julien, l’appartement de la Cité Radieuse où vit mon amie Christine. Les quelques visites en famille à la cousine Augusta du côté de la Corniche, je ne peux guère être plus précise, je ne me rappelle que la proximité des Catalans. La maison du Grec à la Pointe Rouge. Une virée dans les calanques, une semaine à camper sur un bateau au Frioul. De ces moments je ne retiens presque rien du paysage, mais les sentiments. Le sentiment d’échapper, le sentiment de l’espace, le sentiment amoureux. Puis nous quittons Marseille, j’ai quinze ans et j’emporte le souvenir de chambres adolescentes, de cachettes pour fumer, de pierres brûlantes. C’est en y revenant avec toi que la ville reprend forme, j’y ai bien plus de repères que ce que j’imaginais. J’en comprends sa longueur, sa lumière, son bruit. Marseille tu l’as immédiatement aimée, et ce lien que tu as créé avec elle a réveillé mon attachement, jusqu’à la prétendre mienne. Nous revenons souvent. Cette année nous revenons encore. Notre hôte à Endoume édite des guides de balades, nous en feuilletons plusieurs, nous nous décidons pour la campagne Pastré, promesse d’un dépaysement absolu entre mer, collines, immenses jardins, ruisseaux, lacs, étangs. Pastré est un nom familier, il y a sur place un centre équestre où durant mes années de collège plusieurs filles de ma classe allaient monter. Je les enviais, j’enviais leurs pantalons d’équitation moulants, leurs bottes hautes, leurs ventres musclés, leurs cheveux longs noués sous la bombe, j’enviais l’assurance qui allait avec monter. Nous entrons dans le parc, nous franchissons le miroir étroit de canal, il y a cette sensation immédiate de la beauté. Face aux pins, sous les chênes, devant la rade et l’archipel du Frioul, sous la lumière, la promesse est tenue. Je tente quelques photographies mais je ne sais pas capter la lumière, ni les verts qui blanchissent, ni les verts qui saturent, la beauté s’échappe. Et déjà nous descendons, le centre équestre est désert, mais l’air est imprégné de son odeur. Je vois flotter les silhouettes des jeunes filles aisées. Nous avons en tête d’explorer les ruelles de Montredon, nous déjeunons sur la plage. J’observe la succession de pointes rocheuses qui s’estompent dans la distance. Chaque baie semble retenir une part d’enfance. Je n’y ai pas de souvenirs précis, j’ai l’impression d’y déposer ce qui me reste de mémoire, comme si cette distance avec la ville, sa manière de se déplier vers le nord me permettait de dérouler ma mémoire, d’entreposer dans chaque échancrure une image, l’illusion d’un souvenir.

Caroline Diaz
https://lesheurescreuses.net

Texte d'une autrice invitée en réponse à l'invitation que j'ai lancée en avril.

Une réponse à “Campagne Pastré, de Caroline Diaz”

  1. Avatar de Caroline Diae

    Merci Laure pour ces chemins qui s’ouvrent

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