28. Plomb

Toute l’eau de l’incendie, 28.

Texte complet

Au mois d’août 2019, je lus dans Le Télégramme de Brest un article sur les inquiétudes suscitées par la teneur en plomb de l’air, aux abords de Notre-Dame. Je continuais de collectionner ce qui me tombait sous les yeux, sans chercher à m’informer plus que cela sur le sujet. Ce qui m’intéressait, ce n’était pas de tout connaître sur les suites de l’incendie, mais de me rendre compte de l’impact du sinistre sur les esprits, la société. Ce qu’on en disait. Si on en parlait toujours. Combien de temps le traumatisme durerait, ou l’intérêt pour l’événement, quand il ne serait plus, justement, un événement, mais un fait avec lequel il faudrait composer.

Le chantier fut arrêté pendant l’été, à cause de l’exposition des ouvriers au plomb. Il devait rouvrir le 12 août. Pour les enfants et les habitants de l’île de la Cité (en restait-il vraiment, des habitants ?) les autorités étaient rassurantes. Ou incertaines.

Soudain je me rendis compte que pour le traumatisme était passé.

Depuis quand, je n’aurais su le dire. Je regardai les photos que j’avais prises en juin, celles qu’on m’avait envoyées en avril. Ça ne me faisait plus rien. Je m’en étonnai, mais force était de le constater. La cathédrale avait brûlé. Sa charpente était détruite. Le plomb de la toiture en fusion avait peut-être empoisonné l’air et le sol, mais mon cœur ne saignait plus. Le chantier de reconstruction était en cours. Tout le monde n’était pas aussi impudent que le président de la République, et cela prendrait le temps qu’il faudrait.

Tout cela était factuel. Je n’avais plus l’âme poignée. J’en fus à nouveau étonnée, et presque triste de ne plus l’être.

Les mois se suivirent, les retours à Paris, les visites comme obligées au chevet de la cathédrale convalescente, une dernière notation le 1er décembre 2019, et puis plus rien dans mes carnets. Je ne voulais pas suivre le chantier.

Il se passerait quelques années sans plus m’en préoccuper, et soudain à revoir à distance les photos, les voûtes crevées, la flèche effondrée, la toiture en fusion, le cœur à nouveau se serrerait.

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